On peut dire que le travail romanesque de Raphel Eweck est une entreprise passionnée de réécriture de l’oralité. Chez cet écrivain à qui on doit déjà Sorcier par le rêve, un livre magnifique paru en 2009, le passé sert de prétexte à l’exploration des turpitudes, des combats du présent et de l’avenir. En lisant L’homme au vêtement  de femme, écriture métaphorique, nous assistons à une mise en scène d’histoires africaines dans un monde moderne qui loin de se compartimenter, se complexifie et donne naissance à des  nouvelles identités, à des nouvelles luttes, crée de nouveaux espoirs et de nouveaux horizons.

C’est avec  ce  questionnement que j’ai tenté de pénétrer l’univers de ce roman : qui est l’homme au vêtement de femme ? Le vêtement est-il plus important que l’homme qui le porte ? Et qui est cette femme qui laisse  l’homme  marcher paisiblement dans l’apparence de son vêtement ? On est justement bien accueilli lorsque le roman de Raphael Eweck s’ouvre sur un ‘Je’ racontant une histoire bien africaine : un jeune homme grandissant dans l’ombre tranquille de sa mère, évoquant au passage le départ de ses deux aînés de la concession familiale. Un cadet encore muet dans le fil de la narration, âgé de six ans. Le papa est absent. Aucune évocation. Une maman qui tente d’enterrer l’absence de ses deux premiers enfants, d’étouffer leurs noms, leurs souvenirs, leur histoire dans l’absolu silence, comme si elle ne leur avait jamais donné la vie. Une femme, ne laissant   s’échapper aucun soupir chargé de ces inquiétudes, de ces angoisses, de ces craintes noires qui souvent savent habiter ceux qui ont donné la vie et qui l’ont regardé se disperser, se perdre comme du petit grain entre leurs doigts.

S’en suit alors une histoire tissée, une intrigue passionnante, une quête complexe qui tire le lecteur aux confins du songe et aux frontières vaporisés, désagrégés, confondus du réel. L’onirique est ici, la clé d’une aventure  joyeuse et triste à la fois. L’écrivain provoque subtilement, un dialogue sensationnel, et en écoutant les protagonistes, nous perçons les mystères du jour et de la lumière, rencontrons les gens d’un univers qui échappe a priori à l’entendement des hommes.

L’intrigue de ce roman est bâtie sur les structures de l’ambiguë. Le double, le multiple est tapi dans l’homme. Aujourd’hui écrit le romancier, tu t’appelles bien Ekwellé Emambo n’est-ce pas ? C’est le nom que ton père avait choisi…Ton père, tu sais, se prénommait Etamba Assango. Avant d’être Etamba Assango, tu n’ignores pas qu’il s’appelait Ewa Epè Nza ou lointain ancêtre, ou encore saint homme. On découvrira par la suite que ces multiples personnages ne sont en réalité qu’un seul et même individu ayant vécu à trois époques différentes

                 L’homme au vêtement de femme est aussi un roman d’initiation. On ne peut plus écrire l’Afrique à ce jour comme si elle n’avait jamais rencontré le reste du monde. L’initiation devient un rituel ouvert, une tradition du partage qui donne à voir l’immensité du monde, la grandeur d’une civilisation, les procédés des rencontres et des installations d’hommes et de femmes aux origines divers, sur des territoires communs ; la conquête froide des cultures, des mondes. C’est au cœur de cette lutte que se construisent, dans le texte, les institutions culturelles et idéologiques telles que le fameux sixa, l’école de formation des jeunes filles destinées au mariage chrétien. Mais, le sixa est-il seulement une école chrétienne ! Son implantation dans le domaine des missionnaires ne garantit en rien sa crédibilité car, nous raconte encore le romancier, une fois les jeunes filles formées à la puériculture, au ménage et aux autres tâches destinées à tuer leur génie, elles deviennent elles-mêmes des proies sans défenses pour les formateurs qui peuvent alors assoupir leurs viles passions dans l’enceinte même de la mission.

L’un des aspects les plus importants de ce roman, et je l’ai découvert avec beaucoup de bonheur, c’est le souffle féminin qui habite la narration. La femme  n’est plus seulement porteuse d’amour et de renouvellement, elle est, ici, porteuse de la parole qui est vie. C’est l’oracle devant un monde qui cherche les structures de son avenir. Elle raconte un passé, tisse un monde nouveau afin que l’avenir vienne. Elle est, elle-même, une nuit que l’enfant creuse pour atteindre la lumière du jour.

L’homme au vêtement de femme est paru chez Afrédit à Yaoundé, cette année. Une première présentation au public a eu lieu le 5 septembre.


Raoul Djimeli

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