Nétonon Noël Ndjékéry est né à Moundou, au Tchad.  Il a publié quatre romans : Sang de kola (1999, l’Harmattan), Chroniques tchadiennes (2008, In Folio), Mosso (2011, In Folio) et  Au Petit Bonheur la Brousse (2019, Helice Helas). Son  recueil de nouvelles,  La minute mongole, est paru chez La Cheminante en 2014. Il a également publié au Tchad, aux Editions Sao, une pièce de théâtre: Goudangou : ou les vicissitudes du pouvoir.  Nétonon Noël Ndjékéry a reçu  à N’Djamena en 2017,  le Grand Prix Littéraire National du Tchad pour l’ensemble de son œuvre. Dans le cadre de la Semaine Littéraire Tchadienne de Clijec Magazine, nous republions cette interview parue en 2018.

 

C M/ Monsieur, Nétonon Noël Ndjékéry, vous êtes un écrivain tchadien. Est-ce que c’est une présentation qui vous honore ?

NNN / Je n’ai aucune raison de renier mes racines tchadiennes. Encore que, assoiffé d’universel par nature, l’écrivain comme tout créateur n’est pas réductible à une seule de ses appartenances. Je suis aussi devenu suisse par alliance, mais cela n’enlève pas un filament au cordon ombilical qui me relie à ma terre natale.

C M/ Vous revenez à N’Ndjamena, d’où vous êtes parti, et vous incarnez le rêve d’une génération qui elle, n’est pas partie. Elle est restée dans les risques et les tentations de cette Afrique malheureuse et tourmentée dont parlent vos œuvres.

NNN / A chaque retour au pays natal, je ressens un profond malaise en observant (à tort ou à raison) qu’au mieux les choses stagnent, qu’au pire elles se désagrègent. Mais, cette inclination au pessimisme ne résiste pas bien longtemps aux premières heures de cheminement aux côtés des gens qui vivent sur place. Ceux-ci sont animés d’un tel refus de baisser les bras devant l’adversité qu’il m’est tout simplement interdit de désespérer d’eux. Précarité grandissante en raison d’une mondialisation mal maîtrisée, relâchement des solidarités familiales, tribales et autres, corruption ostentatoire et galopante des classes dirigeantes pour ne citer que ces fléaux-là : les Tchadiens font face à tout ça avec beaucoup de courage et d’abnégation. Leur sens de la débrouillardise, qui tient du pur génie au quotidien, force mon admiration.

Pour  l’homme d’écriture que je suis, ce malaise récurrent a quelque chose d’un aveu d’échec. Certes je ne crois pas qu’un simple texte tout seul puisse changer la marche du monde. Mais, l’acte d’écrire dissimule souvent cette prétention ou, à tout le moins, l’espoir de conjurer certains travers sociaux, moraux ou politiques afin d’améliorer la condition humaine. Mais, dans cette Afrique où les livres sont hors de portée pour la plupart des bourses et où l’analphabétisme tutoie encore des taux vertigineux, croire que quelques pages bien noircies suffiraient à elles seules à faire reculer la misère ou le  népotisme, c’est s’étourdir de vanité.

En tout état de cause, le rêve de partir devrait le rester dans l’intérêt supérieur du continent noir. Il n’y a pas une sorte de fatalité qui nous condamne à quitter l’Afrique pour avoir la certitude de cueillir notre bonheur. Le rêve tourne souvent au cauchemar : il n’est que de voir les cercueils des migrants noyés régulièrement alignés sur une plage de Lampedusa pour s’en convaincre. La Méditerranée est hélas en voie de détrôner l’Atlantique comme plus vaste cimetière marin du monde.

C M/ Vous venez à N’Djamena, à l’invitation du ministre de la culture tchadienne …

NNN / Depuis la Suisse où je réside, je reste très attentif à tout ce qui se passe au Tchad. Et j’ai observé, comme beaucoup de gens, qu’avec notre actuel ministre de la culture il y a enfin un esprit dans le Temple et qu’un air frais, exaltant et roboratif souffle désormais dans les arcanes de la création artistique et littéraire de notre pays. Dans ces conditions, je ne pouvais pas ne pas répondre présent à l’invitation qui m’a été adressée. Et je m’en félicite, car rendu seulement à mi-parcours,  la manifestation est déjà un succès en terme de fréquentation et d’audience. Les messages enthousiastes que je reçois des jeunes de 7 à 107 ans célèbrent tous cette réussite et me comblent de satisfaction.

C M/ Vous venez de recevoir le Grand Prix Littéraire National. Le premier. Que représente cette distinction pour vous ?

NNN/ J’ai déjà glané quelques distinctions par-ci, par-là, en France, en Suisse et même en Italie. Mais ce Grand Prix Littéraire National, le premier du genre de surcroît, trouve une résonance particulière dans mon cœur parce qu’il m’apporte la reconnaissance des miens, de ceux sans qui je ne serai pas ce que je suis. J’en suis très honoré. En même temps, je ressens le poids des responsabilités qu’il fait peser sur mes épaules. Il me confie un flambeau allumé par des gens aussi prestigieux que Joseph Brahim Seid Needi, Bebnonè Palou, Baba Moustapha et Maoundoé Naïndouba (pour ne citer que ceux-là) et me charge d’entretenir la flamme, puis de le transmettre aux générations montantes. C’est un défi à la fois intimidant et exaltant, mais que j’entends bien relever.

C M/ La littérature tchadienne est, dans l’espace francophone d’Afrique, l’une des plus jeunes, même si elle a connu au départ de grandes plumes telles que Joseph Brahim Seïd dont vous célébrez la plume ce mois. Quel est selon vous le problème de cette littérature ?

NNN / La littérature tchadienne a en effet été portée en fanfare sur les fonts baptismaux par Joseph Brahim Seid Needi. Mais n’étant pas un phénomène hors-sol, elle a, comme tous les secteurs d’activité au Tchad, souffert du marasme général dans lequel se débat le pays depuis son accession à la souveraineté.  Du reste, il n’y a pas un seul problème auquel elle est  confrontée, mais plusieurs.

Premièrement. Si les guerres civiles récurrentes lui ont fourni d’intarissables sources d’inspiration, elles ont aussi joué un rôle dans la chute libre du niveau scolaire, condamnant collèges, lycées et universités à n’être que des usines à produire des jeunes gens tout juste alphabétisés. Durant tout leur cursus, ceux-ci ne fréquentent les livres que pour les nécessités du bachotage. Puis, une fois leur diplôme en poche, ils prennent les bibliothèques en grippe, ne décollent plus le derrière des bancs de bars et dilapident leur génie à lire l’avenir dans les fonds de bouteille ou dans les culs de verre. En un mot, ils se laissent gentiment retomber dans l’illettrisme.  Ils ne peuvent donc pas constituer un lectorat dont toute littérature à besoin pour émerger, puis s’épanouir.

Deuxièmement. Le mode de vie généralement communautaire du Subsaharien en général et du Tchadien en particulier ne concède que peu d’espace à toute activité qui s’exerce en solitaire, notamment la lecture et l’écriture.

Troisièmement. En raison de son prix élevé, le livre demeure un luxe que peu de gens peuvent s’offrir. Souvent en provenance d’Europe, il arrive dans les librairies surchargées de diverses taxes. Ajoutée au fait que, faute de subvention conséquente, les éditeurs locaux tirent le diable par la queue, cette cherté reste de nature à décourager les meilleures volontés du monde. Or, la volonté politique manque quant à la nécessité de rendre plus fluide et donc moins onéreux le circuit du livre au Tchad.

Quatrièmement. La presse nationale ne consacre que peu de pages et de rubriques à la critique littéraire. Ceci explique-t-il cela ?… Toujours est-il que dans la masse chaque année plus volumineuse de livres publiés par des Tchadiens, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.

Les écrivains Noel N djekery, Sosthène Mbernodji et Djouid Attié, à N’Djamena en 2019. © Raoul Djimeli.

C M/Êtes-vous au courant du festival, Le Souffle de l’Harmattan ?

NNN / Je connais Le Souffle de l’Harmattan  depuis 2014. Tout effort visant à promouvoir la littérature, à fortiori fondé sur une initiative locale et inspiré par des jeunes, recueille automatiquement mon enthousiasme et mon soutien. C’est  le cas pour ce festival.

C M/ Quelle est, selon vous, la contribution des aînés dans la construction d’un tel projet?

NNN / Les aînés devraient, en fonction des moyens dont ils disposent, soutenir et accompagner le projet en le finançant ou en prenant une part active à son organisation. Leurs conseils et, surtout, leurs expériences aideraient beaucoup dans la réalisation d’un tel projet.

C M/ Vous avez parcouru le Tchad. Vous avez rencontré les décideurs et les promoteurs culturels, les jeunes. C’est quoi le plus dur pour cette génération qui vous lit et qui vous suit ?

NNN/ Le marasme dont souffre le secteur culturel au Tchad peut se résumer à une équation simple, voire même caricaturale : l’ampleur des défis à relever est inversement proportionnelle aux moyens mis à disposition pour y faire face. Tout se passe comme si les plus hauts responsables de ce pays n’ont pas encore saisi les enjeux véritables de la promotion culturelle, à savoir que celle-ci est le prérequis à tout développement, le ressort de tout redressement. Pour un Etat comme le Tchad dont la cohésion sociale, économique et politique a été malmenée par tant d’années de guerres fratricides, le salut ne peut passer que par une « réparation » de la mémoire collective blessée. Or, cette thérapie ne saurait être pleinement efficace sans une mise en exergue des valeurs, autant matérielles que morales, dont est capable le génie des peuples tchadiens. Si rien qu’un petit pourcent du budget de la Défense nationale pouvait y être consacrée ! Mais il n’est pas interdit de rêver, y compris à haute voix …

C M/ Quel est le conseil que vous donnez à ces centaines d’auteurs qui vivent à N’Djaména et dans le reste du Tchad?

NNN / Je les exhorte à ne pas baisser les bras, à ne pas laisser tomber la plume. Car, l’aventure dans laquelle nous sommes tous embarqués, eux et moi, est quelque chose qui dépasse chacun d’entre nous. Il s’agit  non seulement de « réparer », de raviver, puis d’entretenir la mémoire de nôtres, mais d’enrichir et d’attiser leur imaginaire. Cependant, il faudrait qu’il se méfie de la facilité et de la précipitation, qu’il soit exigeant avec eux-mêmes dans le travail de création. Parce que c’est à cette aune-là que sera jugée la qualité de leurs œuvres. Et même si les résultats se font attendre, ils doivent continuer à semer pour demain. Tout bien réfléchi, écrire dans cette Afrique subsaharienne accablée d’illettrisme et d’analphabétisme, c’est aussi et d’abord prendre un sérieux pari sur l’avenir.


Propos recueillis par Djimeli Raoul

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