Après Le Condamné, cet auteur estampille à nouveau ses marques dans le monde littéraire par la parution de ce deuxième récit, Djoulai, un récit très riche, nostalgique et émouvant. Il est subdivisé en deux parties, lesquelles situent l’intrigue dans des cadres spatio-temporels différents. Dans la première partie, La mort dans l’âme (p. 10-61), l’histoire se déroule dans un village énigmatique de l’Est Cameroun, tandis que la deuxième, Le regard perdu (p. 63-101), situe l’action à Douala.
D’entrée de jeu, nous sommes interpellés par l’image de la première de couverture dont une interprétation sémiotique s’impose. De cette image où l’on peut voir un père joyeux avec les mains posées sur les deux clavicules d’une fillette comme pour lui dire au revoir, et une fille toute éplorée qui ne se réjouit guère de la situation qui se présente à elle, peut d’ores et déjà se construire un pacte de lecture.
En effet, cet auteur, à l’exemple de Cheikh Amidou Kane et bien d’autres écrivains africains, ressuscite le fameux dilemme qui opposait les traditions africaines et les civilisations modernes imposées par les « Blancs » et dont l’école constituait le tremplin idoine pour sa propagande.
Djoulai,titre éponyme, est l’histoire de Djoulai, jeune fille de 13 ans forcée à quitter l’école au CM2 par ses parents, car « l’école c’est pour les garçons » (p. 47) et elle pervertit l’enfant et déshonore sa famille ou la communauté à laquelle il appartient. Révoltée, elle accepte avec difficulté cette situation inconfortable pour ne pas être la risée non seulement de cette famille polygame à laquelle elle appartient, mais aussi du village tout entier où la phallocratie prédomine, la scolarisation de la fille étant un acte infâme et ignoble menant cette dernière au paria. Comme toutes les filles de la concession familiale de son âge (parfois moins) et celles, d’ailleurs, de son village, elle est contrainte d’aller en mariage. Seulement, le souvenir de la mort douloureuse de sa sœur au même âge, Maimouna, mariée à 12 ans, la hante. Ce souvenir qui meuble son quotidien tel une névrose obsessionnelle la pousse à refuser le mariage arrangé par son père, ce qui conduira à un procès qui n’aura pour corolaire que son expulsion, et sa mère avec, de la concession familiale. Rachetées par le lien solide qui s’est tissé entre les deux familles (celle de la mère et du père), elle accepte le prochain mariage arrangé par son oncle avec un Centrafricain, d’où elle subira les mauvaises humeurs et les différents traitements immondes de sa belle-mère et belle-sœur divorcée. Face à ce climat de tension, accentué par ses deux premiers accouchements manqués, elle essaye de garder sa sérénité et sa lucidité. Ainsi, son troisième accouchement, par césarienne et à 15 ans, sera finalement le meilleur, mais ne rachètera malheureusement pas la sympathie de sa belle-mère et sa fille qui lui reprochent de dominer leur fils. Que faire face à toutes ces insultes ? A cause d’un incident entre son mari et sa propre famille, l’accusant d’avoir subalternisé leur fils parce qu’il a osé aider sa femme dans ses travaux quotidiens, elle est contrainte de quitter la concession. C’est ainsi qu’elle fera la connaissance d’un autre garçon avec qui elle partagera une certaine passion jusqu’au jour où celui-ci l’abandonnera pour la simple et unique raison qu’ils ont eu une dispute sur laquelle ils ne s’entendaient pas et que son amant a qualifié de défi. Prise dans de telles mailles, une prise de conscience s’impose. C’est évidemment celle de Djoulai qui décide de contribuer à ce que cette perception inférieure de la femme s’arrête sur elle et que le monde à venir soit plus meilleur, la femme ayant une contribution significative.
A travers ce récit, l’auteur s’emploie à vilipender cette société phallocratique qui ploie encore sous le poids des traditions. En outre, par le ton à la fois lyrique, critique, pathétique et dramatique, Soilihou M. M. appelle à la conscience humaine en cette période où la mondialisation s’impose comme un défi, et l’éducation comme un à droit pour tous, sans distinction de sexe. C’est pourquoi il interpelle au premier ressort les parents, rendu ici par le poème épilogual à valeur de dédicace qui scande les exploits des parents éducateurs.
Toutefois, on peut cependant déplorer quelques incidents formels qui n’enlèvent rien à la richesse thématique et idéologique de ce joyau qui saura être apprécié des lecteurs.
Soilihou Mforain Mouassie, Djoulai
Roman, Yaoundé, Éd. LUPEPPO, 2018, 101 p.
Par Jovanie Stéphane SOH SOKOUDJOU
Cet auteur a les idées bien en place. Au nom de toutes les femmes qui croupissent sous le poids de cette société patriarcale qui s’evertue a reduire la contribution de la femme au silence et a la procreation, je voudrais dire merci a soilihou!