Un léger pan de voile vient de tomber sur le roman qui remportera l’édition 2022 du Prix Les Afriques organisé par la Cene Littéraire. Si on peut désormais mettre un nom et un visage sur le cinq majeur de cette édition, que dire des chances de ces derniers de toucher au Graal ?

Dire que 2022 est l’année des femmes de lettres en Afrique est un euphémisme. Une fois de plus, nous assistons, et comme vient de le démontrer le jury du Prix Les Afriques, à une prise de pouvoir progressive des amazones de la plume. Tout d’abord, la camerounaise Osvalde Lewat et son très acclamé Les Aquatiques (Les Escales, 2021) ouvre la voie avec l’histoire poignante de Katmé, enseignante dans un pays imaginaire, le Zambuena. Prise entre les ambitions politiques de son mari et son amitié avec Sami, un artiste rendu célèbre par sa satire de l’ordre gouvernant et son penchant homosexuel, Katmé découvre que pour s’en sortir dans un pays rongé par la corruption, la courtisanerie et la course effrénée vers l’ascension politique, il faut être une femme impétueuse, voire même fluide, comme le suggérerait justement le titre du roman. Déjà lauréate du Prix Panafricain de Littérature, celle qui porte également les casquettes de réalisatrice et photographe a encore une chance de s’en tirer à bon compte.

Avec Emmelie Prophète et Les Villages de Dieu (Mémoire d’encrier, 2021), nous faisons une escale dans la sordidité d’Haïti, l’une des premières républiques de l’ère moderne, mais pourtant l’une des plus pauvres de la planète. Prophète, raconte l’histoire de Célia, jeune orpheline élevée par sa grand-mère dans des cités aux noms certes bibliques, mais totalement débarrassées de tout esprit divin. Gangstérisme, trafics, cataclysme naturelle… à cela, il faut ajouter la prostitution que Célia pratique assidûment pour survivre. Tel est le lot de ces damnés que Dieu aurait vraisemblablement sorti d’Afrique pour aller châtier dans le tourbillon des Caraïbes. Emmelie Prophète peint alors avec brio la fresque d’un peuple abandonné à lui-même dans un îlot de désolation.

Un autre voyage exotique nous est proposé par l’une des candidates au titre final. En effet, Estelle-Sarah Bulle nous sert un récit très intriguant du tournage d’une réécriture d’Orphée et Eurydice… dans le Brésil de la fin des années 50. Qui dit tournage dit casting, et c’est lors de celui-ci qu’Aurèle Marquant, le réalisateur déniche ses futures étoiles, plus précisément Les Etoiles les plus filantes (Liana Lévi, 2021) les acteurs pratiquement tous novices qui viendront ajouter chacun, sa part de folie à ce roman gai et passionnant. Pour rappel, Estelle-Sarah Bulle est originaire de la Guadeloupe.

Imbolo Mbue nous ramène sur le continent africain, où elle situe l’intrigue de Puissions-nous vivre longtemps (traduit de l’anglais par Cathérine Gilbert, Belfort 2021). Si elle avait fait une entrée fracassante dans le paysage littéraire avec sa saga Voici venir les rêveurs, elle nous offre cette fois l’histoire d’une révolte, celle de Thula et des centaines d’habitants de Kosawa, un petit village d’Afrique dévasté par les conséquences des activités d’une société pétrolière américaine sur leurs terres. Mbue brosse dès lors avec panache les souffrances d’un peuple noyé dans le suc nauséeux du capitalisme, qui contrastent avec leur détermination à en sortir. Ce roman se veut donc une ode à l’espoir et à la résistance.

Fan Attiki, seul homme du panel décisif achève cette présentation, sans pour autant en être le faire-valoir. La preuve ? son roman Cave 72 (JC Lattès, 2021) a été distingué par le Prix Voix d’Afrique de RFI et JC Lattès l’an dernier. Humour, poésie, alcool et révolte (décidément) sont quelques mots qui transparaissent de l’évocation de ce titre. Le roman nous traine dans un milieu mondain Brazzavillois, la Cave 72, où Verdass, Ferdinand et Didi trois amis se retrouvent régulièrement pour discuter sur l’actualité politique de leur pays, déclamer quelques poèmes et boire un coup. Ça c’est jusqu’à ce qu’une ponte du régime les place au cœur d’un épineux scandale de complot contre l’Etat. Il est donc question pour le trio de se battre pour laver l’affront de cette calomnie. Fort heureusement, ils trouveront en la détermination de la rue un adjuvant de taille.

Le lauréat du Prix Les Afriques sera connu en décembre prochain. Doté d’une enveloppe financière de 6000 francs suisses et d’un tableau du peintre sénégalais Momar Seck, le Prix se veut également un canal d’ouverture de l’œuvre primée sur l’Afrique, de par sa potentielle réédition par les éditions Flore Zoa. Pour rappel, la sixième édition avait été remportée par le congolais Fiston Mwanza Mujila avec son roman La danse du vilain.

Michel Dongmo Evina

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *