Une dizaine d’auteurs africains transforment la capitale de l’Ouganda en think tank d’un meilleur univers du livre en Afrique.
Kampala a un feeling différent. La chaleur est plus dans l’air que dans le soleil ; du moins à cette saison-là. Les mois d’Aout et de Septembre en Ouganda sont de ceux qui hésitent entre la braise et la pluie. Une saison versatile comme l’inspiration d’un écrivain. Ces jeux de vent et de soleil semblaient nourrir l’encre des stylos à « The Square », un immeuble cosy à 10 minutes du centre-ville de Kampala. Tout le Gotha littéraire de l’Afrique de l’Est s’y est donné rendez-vous pour la 5ème édition du festival Writivism 2017. Deux étages d’auteur, d’éditeurs, de critiques d’art, de promoteurs culturels soudés par l’ambition d’une littérature africaine portée par des africains pour essaimer le monde.
La vision se déclinait en actions. Sur place, près de 5000 livres d’auteurs africains étaient en vitrine pour faire connaitre l’immensité du talent littéraire du continent. Les auteurs présents avaient des plateformes d’expression et de débats sur leurs thèmes de prédilection et sur les enjeux de l’édition en Afrique.
« C’était ça le verbe clé de l’événement, l’activisme dans « Writivism » : décoloniser la voix des africains, dépouiller leur inspiration de la bien-pensance occidentale »
La vision se déclinait en questions. J’ai encore en mémoire cette soirée pétillante d’intelligences sur la décolonisation de la littérature africaine. Parce que oui, c’était ça le verbe clé de l’événement, l’activisme dans « Writivism » : décoloniser la voix des africains, dépouiller leur inspiration de la bien-pensance occidentale, libérer leurs écrits de l’impérialisme des grandes maisons d’édition ; épanouir leur pensée loin de la censure des faiseurs de Nobel. La fameuse soirée avait l’armure pour unique dress code. Pas de victimisation, juste la volonté de braver le contexte et de créer chez nous en Afrique, une industrie littéraire qui parlerait pour nous, qui dessinerait toutes les couleurs de l’Afrique. Pas juste les facettes qui confortent l’occident et son armée de grands éditeurs, mais aussi celles qui exposent leur part de poison dans nos société ; celle qui raconte le lot de beauté dans nos misères. La question du comment faire n’a pas accouché de grandes innovations. Les mêmes conclusions fermaient les débats avec leur succession de « plus ». Plus de réseautage entre auteurs africains, plus de professionnalisation chez les éditeurs locaux, Plus d’auteurs assez courageux pour confier leurs œuvres aux maisons d’édition continentales ; Plus de pression sur les librairies existantes, plus de librairies pour ouvrages africains, plus de thèmes africains dans les programmes scolaires, plus de… plus de…
Tous ces plus étaient accolés à une condition : celle de créer un bloc d’écrivain afro centrés et une base de lecteur sur le continent.
Alors la vision est devenue formation. Quel bonheur de voir des jeunes filles de moins de 15 ans en tenue scolaires, balancer d’arrogants afros et déclamer en vers leurs émois et colères. la passions dans leurs mots ne se traduisait jamais en projet de vie. Les parents ne les voyaient pas devenir auteures.
Sur place, à « the square », elles ont touché le rêve des auteurs confirmés ; parcouru des manuscrits devenus romans et offerts à la postérité. Le message était clair : être écrivain peut être votre métier avec un brin d’imagination et beaucoup de travail. C’est peut-être vrai dans le monde anglo-saxon. Peut-être. J’étais la seule auteure francophone du festival. J’admirais le british spirit gorgé de détermination. Tenez, les organisateurs du festival étaient des jeunes de moins de 30 ans. Bwesigye, Roland, Esther et compagnie ont pu lever une horde de partenaires et de volontaires en combinant réseaux sociaux et lobbying local.
Grâce à eux, Munachim Amah, le vainqueur du prix Writivism 2017, a quitté son Nigéria natal pour la toute première fois. En quittant Kampala, je ne cessais de méditer sur le pouvoir des petites actions.
J’ai hésité sur le ton de cet article. Je l’ai préconçu fun avec beaucoup d’humour sur mon anglais mal en point. Je prévoyais raconter mon indignation et mes protestations à la découverte du surnom de Kampala : la ville aux sept collines. (None sense. Non mais on est où là ? C’est Yaoundé la ville aux sept collines !). Je voulais vous décrire mes escapades liquides sur le lac Victoria et le Nil, respectivement plus longue étendue d’eau douce et plus long fleuve du monde.
Au finish, je l’ai choisi plus scolaire cet article ; parce qu’on a tant à copier dans ce british africain mindset. A Kampala, j’ai fait la connaissance d’un compatriote. Macviban Dzekashu est auteur et fondateur de Bakwa Magazine. Un magazine littéraire en ligne qui prendra en 2018 la casquette d’éditeurs. La toile est déjà pleine d’éditeurs africains, la plupart utilisent la langue de Shakespeare et profitent ainsi du premier marché littéraire mondial.
J’ai rédigé ce texte en 1 heure.
Je testais pour la première fois le free writing, une technique d’écriture qu’Efemia Chela a glissée sous mes doigts, là-bas au cœur de l’Ouganda. Efemia c’est cette écrivaine ghanéenne, zambienne et sud-africaine à la fois. Un pétillant moulin à romans de 25 ans, multi primée, boule d’énergie au verbe infatigable qui apprenait aux jeunes auteurs comment pondre un texte sans inspiration. La règle : ne jamais lever les yeux de son manuscrit et maintenir ses doigts en mouvement, dessiner les mots, gribouiller des monstres ou des émotions, croquer de mots simples le cafard qui traverse le salon, le ventre qui gargouille de frissons, de faim ou de sexe. En bref, écrire tout et n’importe quoi et sans tabous. Ce fut l’un de mes grands moments dans ce grand square de Kampala. Découvrir que l’inspiration se niche aussi dans la discipline et l’improvisation.