Né un mardi vient d’être réédité au Cameroun, dans une nouvelle version française. Le livre était paru en 2015 dans sa version originale en anglais, aux États-Unis et au Royaume-Uni. C’est le tout premier de l’écrivain nigérian Elnathan John qui achève une tournée de présentation au Sénégal avec son nouvel éditeur, Ifrikiya, et la promotrice du Prix Les Afriques par ailleurs, Directrice de Kalahari, la collection dans laquelle parait l’édition camerounaise du roman consacré par la CENE Littéraire en juin dernier.
Elnathan John est le quatrième écrivain à recevoir le Prix Les Afriques de la CENE Littéraire, qui vise à saluer une œuvre littéraire parue l’année d’avant et dont l’auteur est Africain ou afro descendant. À l’ouverture du roman, Né un mardi vous plonge sans attendre dans le quotidien des enfants des rues de Bayan Layi. De fil à aiguille, l’on est séduit par la façon avec laquelle les contradictions sont conjuguées ensemble aussi bien à travers les personnages que par les thématiques. Dantala, son personnage principal, est un gamin qui, au début, ne cherche qu’à survivre dans un milieu criminel où la drogue et le vandalisme sont les instruments de mesure de la masculinité et au service des causes au-delà de leur entendement. Par la force des choses, il réussit à se hisser au rang de bras droit d’un puissant imam auprès duquel il découvre la vie sous un autre angle, se découvre lui-même et surtout apprend à suivre la voie de sa voix.
Sur les pas de Dantala, l’auteur nous offre une visite guidée à travers le Nigeria, cet immense pays de l’Afrique que nous connaissons encore si peu. Il nous fait donc rentrer à l’intérieur des espaces culturels, religieux et politiques de ce grand pays via les petites et les grandes gens qui y vivent. Il peint à cet effet le visage d’une société nigériane à la fois innocente et violente qui, chaque jour, doit faire face à ses peurs, ses sourires, ses démons, ses envies, ses pleurs étouffées, ses rires les plus fous, ses dérapages, ses faiblesses, ses failles, ses divisions, ses discriminations, ses tabous les plus intransgressibles, ses convictions les plus ancrées dans la mémoire et surtout son envie de rester debout malgré les pesanteurs.
Citez-moi un seul hadith ou un seul verset coranique disant que l’anglais est un haram… Vous ne pouvez pas choisir délibérément l’ignorance et prétendre vous battre pour la cause de l’islam. Le principe de daroura, la nécessité, signifie que nous devons utiliser ce que nous avons pour obtenir ce que nous voulons. p. 199
Que dire alors de la langue ! Dans bien de romans aujourd’hui à fort marquage culturel, on note de plus en plus que les auteurs essayent d’expliquer ou de traduire certaines situations de communication pour faciliter la lecture et la compréhension. Ce n’est pas le cas dans Né un mardi. Elnathan John ne traduit et n’explique rien. Il invite le lecteur à la curiosité, il lui offre le pays Nigeria tel qu’il se donne. C’est aussi un contre discours linguistique qui, en mettant en exergue le plurilinguisme du Nigeria, s’inscrit en faux contre la tendance à croire que la littérature ne saurait être pensée et vécue en dehors d’un cercle restreint de langues. Sans comprendre un traitre mot de le hausa ou même de l’arabe, on se retrouve à nager l’aveuglette, mais on continue, tout de même. C’est mystérieux ! C’est tentant ! Entre le haussa, l’arabe, l’anglais, le français, nous sommes en plein dans une chorale de langues que même la traduction française de ce roman a volontairement décidé de maintenir et de ressortir.
Il importe de relever l’important travail de communication et de promotion initié par La CENE Littéraire pour faire découvrir à l’Afrique francophone et au monde ce roman passionnant. C’est grâce à cette initiative au combien louable que nous avons découvert Né un mardi, qui a changé notre perception du le Nigeria, le grand voisin que nous, Camerounais, croyons connaitre, mais ne connaissons pas. À travers le cadre géographique, culturel et religieux, les péripéties et les personnages de ce roman peuvent également nous permettre de garder une certaine distance vis-à-vis des généralisations sur l’islam en général et sur la situation dans région du Lac Tchad en particulier. Né un mardi, un roman à lire à tout prix !
Elnathan John, Né un mardi,
Éditions Ifrikiya, Collection Kalahari, Novembre 2019.
Ngassa Landry