Mohamed Ibni Saleh Oumar est bien connu au Tchad comme Directeur Général de l’ONG Action Humanitaire Africaine (AHA), un organisme humanitaire qui s’intéresse aussi à la préservation du Patrimoine, de la Mémoire. Ce qu’on ne sait peut-être pas, c’est qu’il est descendant d’un des royaumes les plus puissants d’Afrique, celui de l’Ouaddaï.  Dans un livre récemment paru au Tchad, chez Les Éditions du Souffle, Mohamed Saleh Ibni Oumar amène le lecteur à l’intérieur de ce grand empire oublié.

Monsieur Mohamed Saleh Ibni Oumar, d’où vous est venue l’idée d’un livre sur le royaume Ouaddaï ?

Cette idée a germé dans ma tête depuis les bancs d’école.  J’ai constaté que cette histoire manquait de détails dans les manuels existants. Cette volonté a été boostée par mes voyages dans la terre de mes ancêtres. Avec le drame qui prévaut dans cette zone, j’ai voulu également à travers cet ouvrage, pousser un grand cri, celui de l’enseignement de l’histoire qui, seule permettra aux différentes constituantes du Ouaddai d’antan de garantir la concorde entres-elles pour un avenir radieux.

Quelle est la particularité du royaume Ouaddaï par rapport à d’autres royaumes tchadiens ?

C’est un empire puissant avec une grande culture…Au Ouaddaï, le colonisateur se trouve confronté à des « esprits en position d’autodéfense » qui se réfugient dans les mœurs ancestrales, l’islam et la culture arabo-islamique, remparts contre la destruction des repères. Il faut noter que plusieurs souverains firent des pèlerinages à la Mecque accompagnés de leurs proches et de leurs dignitaires. Aussi, ce qui est le plus frappant c’est la permanence du sacré inviolable qui assure la survie du royaume, même après la mise en place de l’administration coloniale et l’ambition nationale nourrie par les différents souverains. Mais comme tout empire, la précarité des ressources qui prive quelques dignitaires de leurs avantages et les luttes de pouvoirs seront à l’origine de la décadence de l’empire.

Vous commencez votre livre par une déclaration populaire d’Alain Foka:  « Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme ». Avez-vous l’impression que l’Histoire de l’Ouaddaï s’efface ?

Une histoire ne s’efface pas, mais c’est toujours le chasseur ou en d’autres termes, les plus forts du moment qui l’écrivent. C’est dans le but de se connaitre mieux que celui qui parle de nous sans nous connaitre, que j’ai écrit ce livre qui est important. Comme le dit si bien le grand penseur Ahmadou Hampaté Ba : « En Afrique, tout vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brule ». Sur la trace des anciens, j’ai voulu tenter de conserver ce qu’ils ont reçu eux-mêmes de leurs pères.

D’après votre livre, les Baguirmiens sont aujourd’hui minoritaires et peut-être même marginalisés. Qu’est-ce qui, à votre avis, justifie cela ?

Marginalisé je ne crois pas, sinon tous les royaumes le sont. Minoritaire peut être, car c’est le royaume qui n’a pas eu une grande hégémonie expansionniste. Je n’ai pas assez parlé de ce royaume, toutefois je l’ai mentionné au regard de la place prépondérante qu’il a joué durant des siècles dans cette partie de l’Afrique.

En effet le Baguirmi fut un État qui s’étendait sur un pays fertile où on a longtemps fait avec Benghazi (Tripolitaine) des commerces d’abord très florissants, à l’origine d’ailleurs de sa prospérité au XVIIIe siècle, mais dont l’importante à considérablement été diminué par certains obstacles des siècles suivants. J’explique dans cet ouvrage que dès le début du 19ème siècle commence le déclin du royaume, entouré de deux puissants voisins, le Bornou et le Ouaddaï, qui se disputent la suzeraineté. Depuis 1815, date du premier pillage de Massenya, à 1835, le Baguirmi souffre tous les ans de ravages par les Ouaddaïens et les Bornouans. Le Sultan doit payer un double tribut particulièrement lourd au Ouaddaï et au Bornou.

Votre livre, Un empire puissant au cœur de l’Afrique est-il un chant d’accusation contre l’armée coloniale française ?

Il ne faut pas voir les choses sous cette angle-là, même si en effet, la triste année de coupe-coupe, la déroute de Moll à Doroté et d’autres évènements tragiques pour un camp ou l’autre y sont mentionnés. C’est beaucoup plus pour l’histoire, pour la mémoire et surtout la reconnaissance que j’ai écrit cet ouvrage, pour la jeunesse et la postérité.  Il faut signaler que cette contrée a beaucoup souffert du colonialisme qui, allergique à l’islam et traumatisés par les modèles algérien, placèrent l’empire sous surveillance stricte de la loi coloniale. Ce royaume de position religieuse favorable au panislamisme n’a pu bénéficier d’aucun développement économique durant la période 1909-1960 et même bien après !

Quelle lecture faites-vous des mutations en cours actuellement au sein du Royaume Ouaddaï ?

En tant que descendant du Sultan Abdelkerim, fils du Ouaddaï et citoyen tchadien, je pense que cette grande région a besoin de stabilisation. C’est pour ça que j’ai précipité la sortie ce livre, Un empire puissant au cœur de l’Afrique. C’est un livre qui apaise les cœurs, qui rassemble et qui permet aux uns et aux autres de se connaitre et d’avancer dans la même direction.

Avez-vous des propositions pour la restauration du Royaume  dont vous êtes descendant ?

Je ne suis ni l’autorité compétente et ne fais pas partie des grands sages habilités à se prononcer sur les questions de successions. Même si cela touche mes propres cousins. Ce qui est sûre c’est que mon livre n’aborde pas cette question, il aide plutôt le lecteur à comprendre l’histoire de ce grand peuple. Plus généralement, dans le chapitre abordant le parcours des différents souverains on peut trouver ce sujet toujours aussi brûlant. En effet, la question de succession et les différentes façons souvent violentes dont elles se sont déroulées depuis des lustres y sont présentées en détails.

Comment se fait la collecte du matériau nécessaire à l’écriture d’un livre comme celui-ci ? (Les archives et d’autres ressources).

Il faut tout d’abord lire l’essentiel de la bibliographie existante, rencontrer les anciens que je présente comme des bibliothèques. Des années durant, j’ai mené des recherches d’abord documentaires puis sur le terrain… ça reste non exhaustive mais rapporte un certain nombre d’aspects non connus sur le Ouaddaï. Une sorte d’anthologie de ce qui compose l’empire en guise de contribution à la connaissance des élites africaines. Je remercie également mon père pour nous avoir depuis toujours envoyé en vacances au village auprès de nos parents qui nous ont fait profiter de leur oralité en échangeant avec nous des nuits entières dès la tendre enfance. J’ai poursuivi ce rythme ces dernières années en me rendant régulièrement dans le terroir, ce qui m’a permis de recueillir d’incommensurables ressources historiques.

Quelles sont, à votre avis, les figures les plus importantes de l’Histoire de l’Ouaddaï ?

Ce sont les remarquables souverains tels que le Sultan Abdelaziz Dawia dont on ne connait pas énormément de choses écrites mais plus orales, le Sultan Ali, le conquérant, le roi guerrier qui fera rayonner le royaume dans toute Afrique centrale et enfin le Sultan Mohamed Doudmourra, qui infligea plusieurs défaites aux colonisateurs.

Votre livre est sorti en août 2019, quelle lecture faites-vous de sa réception près de trois mois après sa publication ?

Des retours très positifs car le livre ne s’attarde pas sur les petites querelles de 2018/2019 mais va plus loin. Cet ouvrage est en quelques sortes un appel au vivre ensemble dans cette grande région dont le concours de tous est souhaitable pour garantir sa stabilisation, à commencer par les filles et les fils du Ouaddai. Dans le contexte actuel, ce livre qui sonne comme un hymne à l’histoire de leur peuple est également un cri du cœur, un appel à la cohabitation entre cette mosaïque de populations ayant des liens séculaires.

Ouvrage paru aux Editions Le Souffle, au Tchad.

Propos recueillis par Jean-Michel Ekele

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *