Il aura fallu 78 pages à l’auteur tchadien Mounoné Biampambé pour traduire dans un langage sec et direct, son indignation. Parue aux éditions Ifrikiya en 2018, BERDAÏBE, œuvre éponyme sous-titrée Soubresauts d’un esprit cassé, est un récit-théâtre qui met en scène le quotidien de l’Afrique profonde en décrivant une société tchadienne chaotique déchirée autant par le gouvernement vicieux et corrompu que par la famille africaine. C’est d’ailleurs sur cette dernière que l’auteur accentue sa verve, traduisant sa profonde affliction sur ce qu’il qualifie de « Dictature familiale » !
C’est l’histoire de Berdaïbé, un misérable polygame qui vit avec ses trois épouses dans un petit village très mystérieux. Très tôt orphelin, il sera donné en adoption à son oncle Karibi qui, avec la complicité de sa femme Aham, font développer en lui un complexe d’infériorité, lui répétant à longueur de journée qu’il ne valait rien. L’homme grandit donc en étant maladivement frustré, violent et mythomane. Curieusement, à la vue d’un étranger quelconque, sa schizophrénie pathologique décuple et il se met à châtier les siens pour un rien, expression la plus profonde de son mal-être. Berdaïbé est un homme brisé, conséquence d’un enfant qui n’a jamais connu ni l’amour ni la tendresse. Désormais, il empeste ses propres enfants qui, n’en pouvant plus de vivre sous le joug oppressif de leur père, vont fuir la maison pour certains.
D’entrée de jeu, il est question d’une « visite inattendue ». Solodi, ingénieur agronome de 25 ans, vit encore dans la concession de son père. Souhaitant se faire accompagner chez son oncle Berdaïbé, Chito, l’ami de Solodi, débarque à l’improviste ; Berdaïbé a perdu un fils, décédé de suite de paludisme et de négligence. Les deux « intellectuels » se lancent dans un débat d’abord politique, exprimant leur indignation par rapport à la mauvaise foi des firmes pharmaceutiques qui ne recherchent que leur intérêt pendant que le paludisme décime la population. Ensuite, les deux compères embrasseront le domaine de la religion. À travers leurs échanges, l’auteur nous présente une société africaine désorientée, acculturée et inconsciente, souffrant atrocement des séquelles amères de la colonisation. Solodi fervent religieux, représente dans le récit, la part de l’Afrique qui a trouvé son identité culturelle dans le christianisme. Chito très traditionaliste par contre, essaie de concilier la religion et la spiritualité africaine. Enfin, les camarades retournent à la politique, pour cette fois décrier une administration corrompue, vicieuse et désorganisée qui cultive la médiocrité. L’État ne fait pas que mal les gouverner, il les vole aussi :
« J’avais déposé les quatre projets partout pour solliciter des financements. Trois projets n’ont pas eu de suite, le quatrième a été détourné, modifié et financé pour le bénéfice d’un super citoyen. »
À leur arrivée, la hardiesse de Chito mettra un terme au mal-être de Berdaïbé qui fera enfin la paix avec les siens.
En écrivant le Tchad, Mounoné Biampambé écrit le Cameroun. Cette similarité nous emmène à croire que l’Afrique souffre des mêmes maux. Dans un langage simple et cru, l’auteur met un accent particulier sur le caractère destructeur de la société patriarcale et misogyne. Tout porte à croire qu’il serait un féministe. Il clore son triste récit sur une fin heureuse, comme pour rappeler à tous ceux qui peinent sous la noirceur de la nuit, qu’il viendra un jour où le soleil se lèvera dans leur case.
BERDAÏBE, Soubresauts d’un esprit cassé,
Mounoné Biampambé, Yaoundé, Éd. Ifrikiya, 2018, 78 p.
Kelly Yemdji