« C’est de la sorcellerie ! » c’est par cette déclaration sentencieuse que Patrick Djomo qualifie ce traquenard complexe dans lequel est pris son couple malgré les efforts de maitre Conti, lui expliquant que des gens peuvent vivre dans une même maison sans se voir, surtout dans le cas d’un ménage compliqué comme le sien, avec Emma.

 Vous êtes, disons invisibles l’un pour l’autre. Vous l’êtes devenu physiquement, j’entends

Comment cela a-t-il pu arriver ? vivre dans une même pièce sans pouvoir se voir, se rencontrer… Comme aveuglé par un chaos lent s’inscrivant dans leur identité culturel profonde, Patrick et Emma ne peuvent plus se voir dans leur propre maison. Pris au piège d’un désamour graduel, ils sont comme deux silhouettes invisibles à travers un miroir ; inaccessible mais conscient de la présence de l’autre. Cela semble digne d’un thriller nollywodien avec des mystères frôlant mysticisme et « diablerie » ; pourtant tout est clair, leur difficulté à s’assimiler mutuellement en a fait deux prisonniers de leur mariage naissant.

Ce qui au premier regard ressemblait à une une histoire rocambolesque de disparition devient  un malaise profond au sein de ce couple mixte. Entre soupçons sur fond racial et rebondissements inattendus, Christian Kuate nous promène dans la vie affective d’un couple dont les oppositions culturelles et sociales ont vite fait de constituer son talon d’Achille.

Adoption forcé ou difficile, divorce imminent et invisibilité physique ; l’auteur nous fait passer par plusieurs sentiments contradictoires, d’où les questionnements qui construisent l’inquisition de maitre Conti, pour percer le mystère de ce rapide bouleversement conjugal.

Entre lui Camerounais et elle Italienne, le mélange de genre semble ne pas passer aux yeux de la société Trentaine. Ce qui explique ce racisme, ce refus de l’acceptation de l’autre dans sa diversité et sa richesse. Sur ce point, Christian Kuate qualifie ce racisme d’« atmosphérique, diffus, ordinaire ». Pour lui, c’est  de la «  haine potentielle sans visage ».

Patrick, l’africain immigré, aurait disparu, deux mois après son mariage avec Emma car :

 pour un immigré le mariage est très souvent une fin en soi, l’aboutissement de son parcours, la solution à tous ses problèmes d’instabilité

L’illusion du conditionnement qui nous fait croire à l’existence de la différence entre les hommes n’est que leurre. Patrick aime Emma et Emma aime Patrick. Malgré les dissensions auxquelles originent cette invisibilité entre les deux, leur amour est réel mais fragile. De toutes les façons, ce couple qui sort de l’ordinaire, évoque le cours des choses avec lucidité. Ce couple « interculturel », « multiculturel » pour le coup, incarne la nouvelle image d’une Europe désormais mosaïque des cultures.

Christian Kuate

Lire Christian Kuate c’est aussi rencontrer le parler camerounais dans sa subtilité, son réalisme foudroyant et sa gestuelle comique. C’est un réalisme qui est à saluer ; d’autant plus qu’il ravive le récit au moment où les multitudes interrogations commencent à rendre lourd l’espace narratif.

Ce première texte d’une collection à venir nous fait chaud au cœur, et nous pousse à lorgner le tome 2 d’une histoire qu’on peut déjà qualifier de sensationnelle.

 

Njipendi Daouda

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