Ibrahima Sanoh est un écrivain et critique guinéen qui, à travers sa plume explore les mythes, les légendes et les rites de la culture Mandingue. Il trouve aussi en la question de mémoire une voie pour le développement endogène des peuples d’Afrique. Son dernier livre Le destin fabuleux de Fanka Sékou Kéita : l’homme qui répare les vies brisées (éd Les impliqués) est une affirmation de cet attachement au mysticisme qui est une réalité africaine qu’il faut explorer et même redécouvrir. C’est à travers un récit fouillé, une investigation rigoureuse qu’il nous livre ce témoignage de cet homme, Sékou Kéita, guérisseur atypique qui par une simple mixture guérit des maladies même les plus difficiles. Entre admiration et dévotion, il nous plonge dans un univers narratif qui mêle réalité et stupéfaction. Dans cet entretien, Ibrahima Sanoh revient sur les circonstances et les raisons de cette production aux antipodes de la fiction et de la réalité.
Ibrahima Sanoh, il faut dire que le pays de Sékou Touré a une très belle histoire littéraire !
La Guinée est un pays dont la littérature est assez marquée par l’oralité. Pendant le régime du Président Sékou Touré la production littéraire fut contrôlée par sa révolution, il était celui qui produisait le plus d’œuvres littéraires. Sous son ère, l’essentiel des productions littéraires guinéennes eut lieu à l’extérieur : L’enfant noir de Camara Laye, Soundiata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane, Le Cercle des Tropiques d’Alioune Fantouré, Les crapauds-brousse de Tierno Monenembo, Saint Monsieur Bali de William Sassine, etc. Cette littérature a aussi ses voix féminines : Djenab Koumantchio Diallo, Nadine Barry, Binta Hann, Aissatou Bary, etc.
Les aînés ont été des écrivains engagés. Ils ont écrit contre la dictature, la mal gouvernance, la corruption. Ils ont plaint la trahison des espoirs nés de l’indépendance du pays par les dirigeants des régimes successifs. Ils se sont dressés contre les violations des droits humains et ont permis au monde de savoir ce qu’était la vie dans le pays de Sékou Touré tant adulé par d’autres peuples. La jeune génération peu connue, puisqu’elle a du mal à se faire lire à l’étranger, continue le même combat pour la liberté et écrit sur d’autres thèmes d’actualité : l’immigration clandestine, le mariage précoce, l’excision, l’ethnocentrisme, etc. Elle se dresse à travers ses productions contre l’injustice, l’arbitraire, la dictature. Etre écrivain au pays de Sékou Touré, c’était vivre et écrire ailleurs pour être lu en cachette en Guinée. Aujourd’hui, être un écrivain au pays d’Alpha Condé, c’est écrire pour ne pas être lu car le livre coûte cher, ses maisons locales de production sont sous-financées, peu ambitieuses, et ses canaux de distribution sont désuets. C’est écrire en vain, pour paraphraser Sassine.
Le destin fabuleux de Fanka Sékou Kéita est un témoignage qui fait suite à une longue période de recherche et de recoupement d’informations. Pourquoi avoir entrepris ce long chemin ?
Je venais de finir les études du Master dans une école de commerce au Maroc. Pendant les vacances, je suis revenu au pays pour revoir mes parents après cinq longues d’absence et publier du même coup un essai sur la réconciliation nationale. Arrivé au village, je constate l’absence de mon aîné et de ma mère. Je ne comprenais rien. On m’a dit qu’il était malade et en traitement dans un autre village. Je m’y rends et le trouve fou et enchaîné. Ma maman avait du mal à le contrôler, j’ai décidé d’y rester quelques jours en espérant que son état s’améliore. Son état s’aggravait et je ne pouvais pas le quitter. J’ai renoncé à poursuivre mes études et j’y suis resté. C’est en ce moment que j’ai rencontré son guérisseur.
Au début, je m’intéressais à la condition des femmes vivant aux côtés de leurs enfants malades ; elles finissaient par être abandonnées par leurs maris qui leur imputaient les causes de la maladie de leurs enfants et qui se remariaient. Je ne croyais en rien et je me disais qu’on y perdait du temps. J’ai commencé à faire des recherches sur Sékou Kéita et j’ai découvert des choses surprenantes qui méritaient d’être connues par d’autres personnes. J’ai écrit sur cet homme parce qu’il était très affable et d’une simplicité sans égale. Il soignait gratuitement les maladies graves, il s’occupait de tous les malades. Il n’avait pas le temps pour lui-même et partageait ses repas avec les indigents. Sa disponibilité et son manque de repos lui ont valu d’être victime d’un AVC.
Son enfance fut tragique : il quitta le village à l’âge de six ans pour aller vivre avec les fauves dans la caverne afin de fuir la méchanceté de son oncle et les moqueries de ses camarades, sa maman fut lépreuse et mise au ban, son père fut perplexe et toujours absent. En raison de son don, il aurait pu se venger des hommes qui l’ont laissé vivre avec les fauves qui, au lieu de faire de lui un dîner, lui ont appris des secrets : la vertu des plantes, l’interprétation du chant des oiseaux et du cri des animaux et les dons de la prédiction.
Aussi, je voulais que ceux qui fuient les acharnements thérapeutiques dans les hôpitaux, ceux qui souffrent des maladies graves et qui désespèrent de leurs guérissons apprennent à son sujet et puissent venir à lui. Enfin, j’ai écrit sur lui en guise de gratitude, il a soigné mon frère et a permis à ma famille de se reconstituer.
Au début du livre vous faites un portrait atypique du village Fanka. Le mode de vie, l’organisation sociale et surtout la spiritualité qui reste un des mystères dans ce village qu’on peut qualifier de musulman…
Les Malinkés sont majoritairement musulmans, mais ils n’ont pas vraiment renoncé à certaines pratiques ancestrales. Ils croient aux mânes, certains ont des fétiches. C’est un peuple qui tient beaucoup à la tradition et qui est superstitieux. La société mandingue repose sur une organisation sociale datant de l’empire du Mali fondé par Soundiata Kéita. C’est une société stratifiée, qui a aboli l’esclavage en 1235 à Kouroukan Fouga après la défaite du Soumaoro Kanté par Soundiata Kéita et ses alliés à la bataille de Kirina. La caste des griots, par exemple, est celle qui conserve la mémoire du peuple et la transmet par oralité de génération en génération. Elle joue le rôle d’intermédiation dans l’arrangement des mariages, elle œuvre à la résolution des différends entre les communautés. Cette société a des rites initiatiques qui transmettent des valeurs : la circoncision, le fête de marres, etc. Elle aussi des sociétés sécrètes et ésotériques comme la confrérie des chasseurs.
Cette société valorise beaucoup la femme. Et quand un de ses membres répond à la salutation, il dit « N’ba » : ma mère. Elle est aussi fondée sur une certaine division des tâches : l’homme cultive le champ et ramène les récoltes, la femme s’occupe de l’éducation des enfants, du désherbage, des travaux ménagers et d’autres activités.
U final, l’histoire de la naissance, de l’enfance et des péripéties de Sékou Keita est aussi atypique que celle des héros issus des mythes africains !
Les Africains n’ont pas attendu d’être en contact avec l’islam, le christianisme et d’autres religions pour devenir des croyants. Ils l’étaient et bien avant. Chez les mandingues, le hasard n’enfante rien. Les consultations sont effectuées auprès des devins avant de se fourrer dans une affaire quelconque ou d’entamer quelque chose. Et souvent, les devins annoncent des nouvelles qui se produisent. Les mandingues comme les Africains croient en Dieu, mais à la différence d’autres peuples, ils recourent aux mânes et aux devins comme intercesseurs. Ils croient que le destin existe mais que les sacrifices propitiatoires aux esprits, génies, mânes et même à Dieu peuvent le changer en bien. Aussi, ils croient que certaines actions peuvent changer ce destin en mal. Pour eux, le destin dépend de soi et surtout de sa mère, selon qu’elle endure ou non la souffrance dans son foyer, selon qu’elle est fidèle ou non à son mari. Je parlais de cette société-là et cette insistance devait avoir lieu.
Comment justifier l’enthousiasme des gens autour de Fanka Sékou Keita ?
Fanka Sékou Kéita est un guérisseur atypique. Il est difficile de dire s’il est charlatan, sauveur ou prophète. Parce qu’il est très humble et ne se croit aucun mérite. Aussi, il se rend toujours très petit ; parce qu’il est le fils de petites gens, aime-t-il dire. Il fait des diagnostics à travers l’observation directe, souvent sans avoir vu le patient donc au téléphone. Ce qui est étonnant, c’est qu’il est précis, adroit. Le résultat de ses diagnostics est toujours confirmé par les analyses de sang, de selles ou les échographies dans les hôpitaux. Quand il soigne un malade, il lui dit d’aller refaire son diagnostic médical où il veut. Il le fait pour le rassurer. Il n’impose pas un lieu de diagnostic à un malade guéri. Sékou Kéita n’a pas seringues, il ne fait pas de transfusion, il n’a pas bistouris.
Ceux qui viennent à lui ont souvent fréquenté d’autres guérisseurs dans leurs pays ou régions, où se sont fait soigner dans les centres hospitaliers de grands pays sans avoir eu les résultats escomptés, ce sont donc des désespérés, des condamnés à mort des grands médecins qui viennent à Kourou-lâ. S’il peut soigner une maladie, il le dit. S’il ne peut pas, il le fait savoir au patient.
Kourou-lâ est son centre de traitement thérapeutique à ciel ouvert. Tous les malades y viennent pour prendre le bain et le breuvage fait de mixture d’eau et de feuilles de toutes sortes dans le creux de la racine adventice d’un arbre. La guérison s’effectue là. C’est là-bas qu’il a lui-même été soigné après qu’il a fait un AVC.
Ce qui est sûr, Fanka Sékou Kéita n’est pas un féticheur n’ayant aucun fétiche, il n’est pas marabout ne sachant pas lire le coran et réciter plus de trois de ses prières fussent-elles les plus courtes, il n’est pas aussi de la confrérie des chasseurs. Comme le principe actif de sa mixture est méconnu, comme les résultats de ses diagnostics ne sont pas remis en cause par ceux produits par les grands centres hospitaliers, on ne saurait conclure qu’il est charlatan. Il a sa méthode et elle marche pour le plus grand nombre. Sa médecine est un défi à celle conventionnelle ! Comme le temps évente les supercheries, peut-être un jour saura-t-on le secret de la guérison à Kourou-lâ.
En ce temps de grande incertitude sanitaire, l’histoire de Fanka Sékou Kéita nous parle.
L’Afrique est un continent qui recèle de grandes potentialités et qui possède de grandes ressources inexploitées en matière médicale. Les connaissances africaines en médecine traditionnelle doivent être valorisées. Cette médecine et celle conventionnelle sont complémentaires ou devraient l’être. Certaines maladies en Afrique n’ont rien de naturel et la médecine conventionnelle n’y peut rien.
Pour que les Africains accordent une importance accrue à la médecine traditionnelle, les décideurs africains doivent œuvrer à lever les obstacles divers à son épanouissement. J’ai rencontré des ministres et des grandes pontes de l’Etat venus se soigner à Fanka, mais ils le font en cachette alors que Sékou Kéita ne leur demande rien. J’ai alors décidé de parler de cette médecine et de ses résultats pour que d’autres viennent se soigner à Fanka. Peut-être cela aiderait-il à mettre les gens en confiance. Si chacun œuvrait à la reconnaissance du meilleur guérisseur de chez lui, de sa localité, nous aurions des soins alternatifs et le coût de la santé baisserait pour le bien de tous.
Propos recueillis par Njipendi Daouda M.