Raoul Djimeli vient de commettre une autre composition poétique : Le front brûlant de l’aube. Petit recueil d’une cinquantaine de pages, le livre fait le format de poche. Long poème aux souffles multiples, ce deuxième livre du poète est une promesse certaine pour ceux qui remuent le monde à la quête de la beauté.
Dès le premier recueil En attendant les jours qui viennent paru en 2014, on avait noté chez ce poète, l’inquiétude de l’attente. Dans ce premier livre, on attendait des jours qui ne venaient, se mêlaient au spleen, aux déchirements, aux incertitudes et à la solitude… Heureusement, on découvre avec Le front brûlant de l’aube, que le jour se lève. Le poète écrit :
le jour qui attend
finit par briser la parole des ombres
Ici, l’attente s’impatiente, se cristallise, se charge de grand optimisme et se matérialise par une parole performative, vive, armée et continue. Cette cristallisation en un jour imminent vivifie l’espoir et rend possible le rêve. La possibilité d’un changement est envisageable. Décidément, l’aube annonce la promesse de la nuit. Dans cette dynamique, « le front brûlant de l’aube », comme expression, est la lisière d’une nuit chargée de tous les maux et malheurs, une nuit de fièvre intense qui transmet à l’aube non pas le calme et la fraicheur propres à ce moment, mais un « front brûlant » ! C’est un front qui brule à cause de la nuit tumultueuse, mais aussi d’espoir et d’attente. Il convient de relever que « le front » pourrait également être perçu comme aire de conflit : conflit entre le jour et la nuit. Conflit politique. Conflit traditionnel. Conflit armé. Le poète écrit encore :
le tambour des vassaux frappe
…
les torses nus et sauvages
s’arrachent telles des feuilles mortes
et avancent vers le front sanglant de l’aube
Parmi les sept vers qui constituent l’offre de la quatrième de couverture, citons ces deux premiers qui nous semblent assez expressifs au sujet des conflits.
à la frontière mitigée du jour et de la nuit
l’ombre pressée récite les dernières prières
L’ombre, disons la nuit, perd le terrain et c’est fort perceptible dans la distribution lexicale qui met en avant l’espoir et l’optimisme : « la balle gonflée d’espérance » ; « la saison nouvelle des récoltes » ; « la promesse des greniers » ; « fruits jaunes d’espérance » … Cet espoir persévérant se dilate dans l’impatience et acquiert plus de résonance en oscillant entre discours constatifs et discours performatifs construits autour d’un avènement : « la terre a soif des ombres nouvelles » ; « le jour se lève » ; « le jour qui nait sur la côte lointaine » ; « ne crains rien » ; « le nouveau jour rompt un pacte séculaire » ; « allons à la conquête de songes nouveaux » …
L’antagonisme schématisé sur l’ordre temporel se reconstitue parallèlement sur l’axe des espaces, plus concrètement entre la ville et le village. La ville est perçue comme un rouleau compresseur qui terrasse et anéantit la mémoire, l’identité, la culture (incarnées par le village); l’être tout entier donc ! Dans l’injonction
recueille les débris égarés de
la jarre brisée
« la jarre brisée » peut être interprétée comme révélatrice de la tragédie de nos campagnes qui se fragmentent et se dispersent sous l’avancé ou l’absorption de la ville. À ce propos, le poète établie un contraste clair entre les deux entités géographiques et qui est perceptible entre ces vers :
j’ai goûté aux saveurs du sahel
quand la ville taisait son chant funeste
et que l’amour entonnait
vers toi une cadence nouvelle
Ceci dit, Le front brûlant de l’aube est une suite de promesses qui, mieux qu’annoncer, portent le jour qui vient dans le tumulte et la fièvre du présent. C’est un jour qui consiste en la réappropriation du cours de l’histoire et en la réconciliation avec les Origines. C’est un mouvement qui se construit progressivement dans le temps, mais régressivement dans l’espace. Le poète dit encore :
nous avançons
vers le recommencement des choses anciennes
Paru en juillet 2019 chez Les bruits de l’encre à Bafoussam, le projet poétique de Raoul Djimeli est une longue marche à travers les campagnes d’Afrique : le Tchad, le Ghana, le Nigéria, le Togo, et les villages du Cameroun. Les eaux de l’Adamaoua, du pays Bamiléké, des Côtes du Littoral et du Sud irriguent l’œuvre. Il n’est pas de poème sans le chant de l’eau, la parole des génies. Le poète le dit dans « L’Après-dire ». Il est fabrication de la parole ancestrale, enfant des oracles et promesse de continuité.
C’est en mangeant la chèvre des sacrifices que je suis devenu poète, conclut-il.
Le front brûlant de l’aube est un livre-espoir. Il apporte la lumière que promettent les autres textes de Raoul Djimeli, qui paraissent chaque année dans divers projets individuels et collectifs.
Raoul Djimeli
Le front brûlant de l’aube,
Éditions Les bruits de l’encre, Bafoussam, juillet 2019
Gils Da Douanla