D’une chambre à l’autre de Mamadou Fakaly Doumbouya, syndicaliste et écrivain, s’inscrit dans le temps et dans l’espace. Chaque instant de récit choisi nous offre un regard pour le moins inédit sur la gestion de l’espace polygamique, à travers une voix masculine. Il s’agit du régime de l’entre-deux spatiaux (entre deux espaces conjugaux) qui apparait comme un voyage tortueux pour Alioum Samb. L’espace du récit tout comme l’espace polygamique, dans un mélange homogène et subtile nous donne à savourer les délices mais aussi les affres de la vie conjugale dans le quotidien du polygame. Parfois glauque, parfois cocasse, mais aussi réaliste ce récit est une balade dans l’univers de la polygamie, d’amours et de volupté.

Les couloirs de l’inquiétude

Poussé par un  désir de paternité maladroitement exprimé, Alioum va se retrouver dans le besoin de prendre une deuxième femme, quatre ans après son premier mariage. Une femme qui est toute à l’opposé de la première Ndèye Seynabou, analphabète, modèle parfait de  femme au foyer. Bienvenue, Marième !  instruite, enseignante et syndicaliste, elle est tout l’opposé de Ndèye, sa coépouse. Ce mélange entre « deux contraires » est un cocktail explosif qui ne tarde pas à jaillir de l’intimité charnelle des deux chambres conjugales.

Dès ses premières nuits en tant que polygame Alioum prend la mesure de ce qui l’attend dans les deux espaces conjugaux qu’il tient désormais. Il s’inquiète :

 Ndèye Seynabou ne dormait pas,  elle me regardait, décoiffée telle une lionne repue.

Je ne voulais qu’une chose : m’enfouir dans les draps.

Le couloir qui longe la maison d’Alioum et au bout duquel se trouve les deux chambres conjugales, ne nous fait pas seulement penser à la prison ou à un hôpital, il nous rappele d’avantage la rigueur des choses, dans un espace initialement prévu pour une (femme). D’ailleurs l’illustration de la couverture nous laisse entrevoir ce couloir, avec ses deux chambres voisines mais au bout duquel se tient uniquement une femme. Elle fait face à un monde qui, semble-t-il est celle de l’Afrique profonde avec ses cases en rotonde. Il est clair, c’est une communion avec une pratique qui va de bon train dans nos sociétés africaines. Pourtant l’auteur, ici, ne porte pas de critiques acerbes sur une pratique millénaire ; il ne fait que nous l’exposer dans un récit riche en perspectives et en rebondissements. Les voluptés et les loufoqueries de l’intimité conjugale constituent des éléments essentiels dans ce voyage, entre deux,  qu’entreprend Alioum.

L’enfant

Voilà le prétexte. Voilà l’espace, vide dans le cœur d’Alioum. C’est l’espace à combler… L’espace qu’Alioum attend depuis longtemps, que Ndèye comble. L’homme s’y accroche pour foncer vers d’autres horizons. Cette quête, n’est ni plus ni moins que l’affirmation de l’existence du  foyer conjugal. En tant que chef de famille, Alioum se lance sur cette voie, à la grande surprise de son père monogame ; son désir d’avoir un enfant étant plus fort que son entente avec Ndèye Seynabou. Bien qu’il justifie, le choix de Marième par un amour donc lui-même ne peut définir les contours, Alioum cherche. Ce qui pour lui semble être un désir légitime en tant que chef de famille se verra être son plus grand désarroi, sa source de chagrin et même de mal-être. Celle qui conquerra cette espace se verra vainqueur dans ce jeu de conquête de l’espace conjugal. Et à cela, seule celle qui sera lionne repue s’en tirera grande gagnante.

Ces fragiles cultures

Lire D’une chambre à l’autre c’est aussi se rendre à l’évidence d’une dualité culturelle ; choc sans pour autant être fatal entre deux mondes des opposée(e)s.  Des cultures que l’auteur oppose dans une subtilité à satisfaire chaque tenant. La tradition ici, se mélange avec la rigueur d’une société moderne incarnée par des croyances venues d’ailleurs. A cela le père d’Alioum, quoique musulman pratiquant, tranche net au moment où la cohabitation est au bout de l’exacerbation :

 Mon père calma le jeu, parlait de volonté divine sans pourtant ne pas reconnaitre que nous avions nos traditions qui faisaient partie intégrante de  nos valeurs.

Les opposées c’est aussi le tableau des familles que nous offre à découvrir Mamadou Fakaly Doumbouya. Entre une famille encrée dans ses valeurs et une autre moderne, plus flexible et même pas du tout à cheval sur les valeurs, Alioum une fois de plus se trouve en arbitre au centre de ses opposées ; sa famille à lui n’étant pas exclue. D’abord incarnée par leurs filles respectives, puis ses beaux-parents, cette opposition est le reflet d’une société africaine assise entre deux pôles culturels. L’auteur ne les oppose pas, il les présente pour que l’on puisse en tirer le meilleur model éducatif possible pour nos enfants.

C’est à travers l’éducation respective de ses deux femmes que l’on témoigne de la réalité de cette dualité culturelle au sein d’une société sénégalaise plutôt conservatrice. Entre une éducation traditionnelle se caractérisant par des enseignements qui scient le plus à la gestion de l’espace conjugal et une éduction actualisée assumant son choix de liberté au point de renier l’espace matrimonial polygamique pour un espace de ‘liberté’. Dans toutes les perspectives, il est clair que chacune de ses femmes choisit, au  bout, le carcan qui convient le plus à son éducation.

L’ouvrage est aussi un recueil d’enseignement sur la sagesse. Chaque intrigue, chaque dialogue est un apprentissage qui porte un pan de nos sociétés africaines,  sous un angle qui est pour le moins inédit.

 

Mamadou Fakaly Doumbouya

D’une chambre à l’autre

Editions Awoudy, Lomé, 2018


NJIPENDI Daouda

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