L’œuvre de l’esprit à un caractère divin doublé de l’emprunte d’un mystère : la vivacité de l’esprit. Cette étrangeté fait que les idées qui inspirent les uns, font survivre les autres et transcendent les limites physiologiques de leur auteur. On peut encore parler de Séverin Cécile Abéga, cet écrivain camerounais. Nous pouvons donc relire Les bimanes (1982, NEA/EDICEF : Sénégal) de Séverin Cécile Abéga à perpétuité. Dans une perspective éthique, cette expérience est digne d’admiration et de louange, à l’heure où les jeunes recherchent de l’emploi, meurt dans la Méditerranée à la quête d’un « el dorado » terrestre, au moment où le taux de chômage flambe, où les valeurs traditionnelles sont en passe de devenir obsolètes. Il faut relire « La cigale et la fourmi » de Jean La fontaine, chanter « Le Laboureur et ses enfants », et au plus haut point, faire un clin d’œil à Séverin Cécile Abéga. Ce temps d’arrêt consiste à mettre l’emphase sur la conscience laborieuse, et porter le travail au sommet des idéaux. Ainsi, comment la jeunesse africaine aujourd’hui peut-elle percevoir dans Les bimanes , un socle axiologique efficient, en lequel, la conscience laborieuse y est saillante ?
Les Bimanes est un recueil de sept nouvelles dont l’intuition originale de son auteur constitue un vecteur orienté vers le public jeune. « Le fardeau », « Dans la forêt », « Une petite vendeuse de beignets », « Le savon », « Un étranger de passage », « Mots d’enfants », « Au ministère du Soya » sont autant de titres adressés à ceux à qui on octroie généralement un rôle architectonique : celui des bâtisseurs. Les jeunes sont bien selon un camerounais, le « fer de lance de la nation ». Séverin Cécile Abéga écrit justement pour préparer l’Afrique de demain, une Afrique « Sujet » et non « Objet ». D’autant plus que la jeunesse est obscurcit par les plus âgés, apeurée par un avenir douteux et victime des fléaux comme le banditisme, la paresse, l’oisiveté, l’alcoolisme, le tabagisme et la perversité. Ces nouvelles sont autant de forces pour mieux outiller le jeune dans cette jungle qu’est la vie. « Bimanes » est son concept. Selon S. Cécile Abéga ce terme désigne ceux « qui mangent leur pain à la sueur de leur front, et grillent leur échine sous les braises de notre soleil tropical », ajoute-t-il, « les bimanes ont deux mains, et s’en aperçoivent. Ils n’ont pas peur du soleil ni de l’effort. Aussi les méprise-t-on souverainement, car ils n’ont pas eu l’esprit assez inventif pour se protéger des fureurs de l’astre du jour. Ils n’ont aucune parenté […] bien placée pour les fournir une place à l’ombre. Ils savent à peine lire et écrire, sinon pas du tout. » En clair, le « bimane » est un individu démuni, abandonné à son triste sort. Dans sa situation peu reluisante, il est issu d’une couche sociale défavorisée. En plus, bien qu’il soit sans attache, ce damné de la terre se refuse de plier bagage. Il sait que l’homme est ce qu’il se fait ; il réfléchit, s’efforce, et travail pour maitriser la nature et changer le cours dramatique des choses. La quatrième nouvelle intitulée « Le savon », sied le mieux à cette définition. Nous-nous appuierons sur celle-ci.
Elle table d’abord la difficulté intrinsèque de l’existence humaine. Dès lors, ce génie interprète la vie comme une dialectique. Elle dès lors rigide comme du fer. Pour autrement dire les choses, la vie est selon lui une rude épreuve, cet avertissement pousse, les fleurons de l’espèce humaine à s’en garder de voir la vie en rose. C’est donc un jardin parsemé d’épine et de ronces, un fleuve interrompu de chutes et de rapides. L’auteur dépeint premièrement la vie pour en faire une caricature. La vie en elle-même sent des « pestilences nauséabondes », des « émanations asphyxiantes ». Avoir à vivre c’est « avoir à patauger chaque jour dans les saletés les plus abjectes, avoir chaque jour à manier, à discuter sa pitance avec les vermines les plus repoussantes ». La vie du bimane étreint la vision héraclitéenne du monde au sens où c’est un combat. Il faut se salir les mains avec Jean Paul Sartre, c’est la condition ultime, non moins au sens où un Sartre l’entendrait. C’est-à-dire, tuer, ou être, comme chez Hobbes, un loup pour autrui. Plutôt, Abéga fait une décoloration de la vie, ce serait sans doute son propre miroir qu’il représente, ou le reflet de son cadre de vie. Quoi qu’il en soit, il fait de la vie l’expérience d’une conscience douloureuse. Pense-t-il : « La vie ne sent pas bon. Elle a des odeurs de crasse, un remugle de sueur. » Nous retenons donc que vivre c’est souffrir. Seulement, Abéga est-il fataliste ? Serait-il un pessimiste dans l’absolue ? Sinon, comment démêler l’écheveau, afin de résoudre le problème de la vie et atteindre le bonheur ?
A la jeunesse, une vertu cardinale est donnée : le travail. Mais, celui-ci dérive du courage qui permet d’aller à grande foulée sur le sentier de la vie. Mbah qui est le héros de cette nouvelle est orphelin, il est victime des railleries, de la méchanceté de ces oncles et des autres membres de sa famille. Passé par cette succession d’humiliation, il quitta sa condition de dominé, d’esclave, d’assujetti, et fit irruption dans le monde de la débrouillardise. Il poussa sa détermination à son paroxysme au point de faire du dépotoir son bureau. Il fouillait ce lieu immonde sans honte de la saleté pour trouver ce qu’il y avait encore de récupérable : « bouteilles jetées », « cartons », « sac en cellophane », « bidon en fer blanc ». Selon lui, «Il y a le savon. Et si sueur et crasse sont des mots indispensables, elles sont facilement curables. Mais le jour où tu te salis les mains pour vivre en tuant, en mentant, en volant, en escroquant, eh bien aucun savon, aucun détergeant n’aura la puissance nécessaire pour te laver de cette souillure.» Cette voie teintée d’intégrité, de labeur, de courage et d’abnégation est ce que nous avons appelé « Conscience laborieuse ». C’est cela même qui permit le héros à réussir sa vie, à se marier et à conduire sa vie sous le signe du bonheur.
In fine, Les Bimanes de Sévérin Cécile Abéga est une boussole pour la jeunesse africaine. Il choisit une nouvelle, « Le savon » pour bâtir son édifice éthique. Mbah, porte-parole de la jeunesse fait face à l’adversité quotidienne. Il montre que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, seulement, il se désinscrit au pessimisme pour proposer le courage, le travail et l’intégrité comme valeurs d’une jeunesse africaine consciente d’elle-même, de son avenir et de son sort : voilà pourquoi on peut lire à perpétuité l’œuvre de l’écrivain camerounais sans rechigner.
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