Alors que résonnent de plus en plus les cloches du discours féministe de par le monde (Mouvement « Me Too », « Femen », etc.) le Cameroun se glisse subrepticement dans la danse, au gré des récents scandales misogyniques qui écument les différentes sphères de communication. Nous n’allons pas les citer. La littérature est pourtant encore reconnue comme l’art par excellence à-travers lequel les femmes se dévoilent, et en même temps dévoilent des pans d’une société à toujours repenser.
Mieux, au moyen de leurs plumes, les femmes savent remettre en question les stéréotypes et autres formes d’impositions de l’ordre établi. Qu’elles soient camerounaises ou étrangères, les auteures ont toujours apporté leur contribution au polissage de la compétence critique, lexicale, voire créatrice des jeunes apprenants camerounais. Qu’il s’agisse de Georges Sand et son roman Le Secrétaire intime, Delphine Zanga Tsogo et ses Vies de femmes, Evelyne Mpoudi Ngollé avec Sous la cendre le feu, les femmes ont su parler à notre jeunesse avec leur sensibilité à elles propres. Malheureusement, au fil des années il se ressent une incompréhensible tendance féminicide dans les manuels scolaires de littérature. Dans les salles de classes, les écrivaines semblent alors condamnées au silence !
Des statistiques qui parlent
La présentation de la dernière liste des manuels prescrits par l’Etat sonne incontestablement le glas de plusieurs pratiques reconnues comme malsaines à la réalisation des objectifs fixés pour le manuel scolaire. Seulement, si nous nous intéressons aux contenus, voire aux « visages » de notre littérature scolaire, nous constatons amèrement que nous tendons progressivement à une épuration pure et simple de la voix féminine dans notre programme éducatif. En 2016 déjà, dans un article consacré à ce sujet, Blaise Tsouala posait un diagnostic effarant : celui de la « conspiration du silence » à l’égard de la parole des femmes. Sur la base d’une étude statistique de la distribution paritaire des auteurs sélectionnés au programme scolaire de l’enseignement général et technique francophone de 1997/1998 à 2016/2017, il démontrait clairement cet état des choses. En effet, sur les 48 auteurs décomptés au total, seules 7 étaient des femmes, soit un pourcentage de 14,58%, contre 85,41% pour les hommes. Bien loin de toute idée de fifty-fifty revendiquée jusqu’ici.
Depuis l’année scolaire 2016/2017, la situation a plutôt évolué négativement avec l’évincement de L’Intérieur de la nuit de Léonora Miano…Le tableau est bien moins reluisant qu’il y a deux ans, pire, il s’est assombri avec une chute drastique du pourcentage d’auteures dans la liste de nos manuels. Cela nous suscite quand même quelques interrogations. Est-ce à dire que les femmes n’écrivent plus ? Ou alors qu’elles ne savent plus le faire ? Comment envisager dès lors la suscitation de vocations d’écrivaines auprès des élèves de notre système secondaire avec cet état de choses ?
« Re-donner » la parole aux femmes
Avec son roman Jo, l’enfant des rues proposé en classe de 3e, Evelyne Mpoudi Ngolle apparaît comme la dernière amazone d’une tribu en voie de disparition. Sans intention de jeter un quelconque discrédit sur les auteurs masculins et leurs œuvres qui ont été méticuleusement scrutées, nous pensons qu’il faudrait revoir à la hausse le nombre d’auteures au programme. L’enjeu est réel, car dans une nation qui a fondé la parité des genres comme un idéal de société, le domaine de la littérature scolaire ne saurait rester à la traine. Et surtout que les talents ne manquent pas ! Imbolo Mbue, Hemley Boum, Djaïli Amadou Amal… elles sont là nos amazones de la plume, donnons-leur cette tribune pour qu’elles contribuent à leur manière à l’éducation de la jeunesse camerounaise. D’autre part, il est indéniable que les figures de la littérature permettent aux jeunes de s’identifier auprès d’eux. Tout comme un jeune d’un centre de formation rêverait de taper dans la balle comme Samuel Eto’o, beaucoup de jeunes filles s’intéresseraient plus aux Belles-Lettres si les programmes leur présentaient plus de modèles d’écriture féminins. N’oublions pas que la plupart des grands écrivains ont eux-mêmes été sur les bancs…
Michel Dongmo Evina
ENS de Yaoundé.