Si le scandale n’est pas un livre, qu’est-ce donc, le livre ? L’actualité du Cameroun au matin de cette année scolaire 2018-2019 est soumise à de véritables « éruptions volcaniques ». Il y a dans l’air une odeur de soufre et une nuée de la cendre noire déclenchées par ce que qu’Alain Belibi appelle « la saison des polémiques ». On n’en avait pas encore fini avec l’enlèvement et le massacre des personnels et élèves qui ont osé reprendre le chemin de l’école en zone anglophone, avec le sit-in et les larmes des femmes de Bamenda décriant les atrocités de la guerre dans le Nord et le Sud-Ouest, que notre ciel s’est surpris en train de subir les zébrures puis le tonnerre terrifiant d’un module d’enseignement sexuel contenu dans un ouvrage de la classe de 5e de l’enseignement général appartenant à la collection L’excellence en sciences. Le programme officiel de l’enseignement en 6e et en 5e au Cameroun, objet d’un arrêté qui date du 13 août 2014, se décline en six modules dont le quatrième, consacré à « L’éducation à la santé » se subdivise en deux parties, à savoir la santé de la reproduction et la santé de l’alimentation. Si l’objectif affiché du module (présenté comme « une famille de situation » selon la terminologie de l’approche par compétence) vise l’amélioration de la santé de la reproduction, c’est la suite de la déclinaison du module qui n’a plus arrêté d’alimenter un tollé général dans l’opinion publique. Cette suite étale une série de « comportements émergents néfastes à la santé de la reproduction » et définit comme catégorie d’action à mener « la lutte contre les comportements émergents néfastes à la santé de la reproduction.» Un ensemble de termes qui brillent par leur lubricité et qualifiés par certains de « pornographiques », sagement rangés et dénotés dans le manuel à côté d’une image de zoophilie (une femme et une bête dans une intimité sexuelle), constituent l’huile versé sur le feu qui ne vient pas arranger les affaires d’une république agitée ces derniers temps par toutes sortes de sujets brûlants. Ces derniers jours se sont en effet mués en un chaudron médiatique inédit et inextinguible au cours duquel d’aucuns n’ont pas hésité à qualifier ce qui se passe à l’école de scandale du sexe dans les programmes des 6e et 5e et de complot sibyllin des officines occidentales résolues à vendre par tous les moyens leurs pratiques sexuelles à notre jeunesse par le biais de relais locaux situés à des postes stratégiques. Presse, radio, télé, réseaux sociaux, numérique, radio trottoir, etc. tous les médias se sont rués sur un petit manuel, subitement devenu un monstre qu’il fallait abattre par tous les moyens ou tenter de sauver. Face à cette situation sulfureuse, des esprits avertis et dotés de mémoire n’ont pas manqué de voir en le livre une véritable fabrique de scandales ou de polémiques. Ils se sont rappelés le feu mis sur la poudre dans le passé par des livres tels que Les versets sataniques, le roman de Salman Rushdie de 1988 qui évoque les passages du coran où Satan aurait fait dire à Mahomet des paroles empreintes de conciliation avec les idées polythéistes ;Les honneurs perdus de Calixte Beyala, roman accusé de plagiat à sa parution en 1996 et qui a fait grand bruit ;ou encore cette publication de 2013 des éditions Favre au titre révélateur de Figaro, ces livres qui ont fait scandale, qui parle d’un brûlot écrit en 1946 par Boris Vian et qui va connaître un succès phénoménal après avoir bravé censure et interdit… Le scandale provoqué par un livre devrait faire son malheur ; loin de là, il crée plutôt un intérêt qu’il n’aurait pas eu s’il s’était contenté de caresser le lectorat ou la réalité dans le sens du poil, de chercher à jouer au politiquement correct ou de se plier à la norme générale. « Médiatiquement parlant l’odeur de sainteté n’égalera jamais le parfum du scandale », nous confie Grégoire Lacroix, dans son ouvrage Le penseur malgré lui (2012). De ce point de vue, le scandale a des vertus. Il crée des tribunes et des tribuns, affûte les passions et les pousse jusqu’à l’incandescence. Il rompt l’austère morosité du quotidien. Un objet, un être, un écrit, une circonstance sortent des marges insipides de l’ordinaire, clouent au poteau l’actualité conventionnelle, fait se dresser les oreilles et palpiter les cœurs. Tout cela nous fait penser qu’il est bon qu’un pays ait ses petits et ses grands scandales pour que les politiciens sortent leurs gourdins, pour que les sonneurs d’alerte des réseaux aient de quoi s’occuper et pour que l’opinion publique sorte des pesanteurs du rien, de l’absence de frissons qui peuvent être préjudiciables à l’équilibre social qui a besoin du froid et du chaud pour se maintenir. Et le petit manuel de science de 5e a bien compris la leçon, et réussi à se démarquer des centaines d’autres titres versés dans les programmes scolaires de cette année, qui n’auront pas la chance de passer à la télé, d’être vus par toute la république et de déchaîner les passions.
Jean-Claude Awono
Une pensée sur “Les vertus du scandale”