L’African Festival of Emerging Writers (FESTAE) est une rencontre littéraire et culturelle organisée au Cameroun depuis six ans, par une association culturelle qui a dix ans cette année, le CLIJEC. Ce festival vise à promouvoir la littérature africaine en offrant un espace d’échanges et d’opportunités pour les acteurs de la scène littéraire locale, continentale et mondiale. Rendu à sa sixième édition, le FESTAE qui rend hommage à l’écrivain Edouard Glissant se tiendra cette année, du 16 au 17 avril dans la ville de Yaoundé, dans un contexte sanitaire toujours précaire. A la Kwaanza d’Akak, dans un petit village près de Yaoundé, nous avons rencontré Djimeli Raoul, écrivain, activiste culturel et Directeur ce festival.
L’African Festival of Emerging Writers (FESTAE) dure depuis 6 ans déjà ! Quelle est son histoire ?
Nous avons créé l’African Festival of Emerging Writers pour faire connaitre les littératures produites en Afrique et pour les mettre en rapport avec l’Histoire méconnue de notre continent. Il était question d’initier quelque chose qui permettrait aux énergies locales de s’associer pour créer un festival : un lieu où les membres de la chaîne du livre et des africains porteurs d’initiatives culturelles se parlent. Au fil des années, nous avons accepté la main tendue de la diaspora. Celle qui travaille à rendre notre pays habitable, peut-être plus pour notre génération, mais pour celle de nos enfants.
Six années d’activités, vous retenez quoi ?
Nous avons une très belle histoire à raconter au bout de nos 6 ans: c’est que le public de notre littérature n’est pas celui que nous pensions être lorsque nous avons commencé nos activités en 2011. Personnellement je me suis dit au début que les jeunes étaient la cible de notre festival et même de notre association qui fête ses dix ans cette année. J’ai découvert, en organisant des activités littéraires autour des figures de l’Histoire de notre pays, qu’il faut éduquer les adultes en même temps qu’on éduque les jeunes. Vous organisez une lecture pour lire Remember Ruben de Mongo Beti et à la fin, un adulte dans la salle vous prend à côté pour vous demander pourquoi vous faites honneur à un rebelle qui a voulu empêcher l’Indépendance du Cameroun. Il parle de Ruben Um Nyobè ! Vous avez honte à sa place… Du coup, nous faisons l’effort d’amener tous les types de publics à nos activités, et nous leur expliquons pourquoi il est urgent de s’approprier notre Histoire.
Parlons justement des 10 ans de votre association, le CLIJEC, née en 2011.
Beaucoup de personnes nous demandent justement ce que nous allons chercher dans l’Histoire de l’Afrique, dans les guerres indépendantistes, dans les faux traités et les mensonges qui ont conduit à la fabrique de la françafrique et des nouveaux modèles de la colonisation occidentale. Quelqu’un m’a dit un jour : « vous pouvez vous contenter d’être un festival littéraire ». La réponse est ici : l’association qui a dix ans aujourd’hui a été fondée lors d’une rencontre d’hommage à Mongo Beti. Nous sommes donc restés fidèles à Mongo Beti dont l’œuvre est au commencement de notre histoire. Quiconque te demande de tourner le dos à ton histoire, fut-elle douloureuse, est un manipulateur.
Que faites-vous concrètement pour rendre vivante cette Histoire méconnue ?
Nous avons trois grands axes d’activités au sein du CLIJEC. La première, c’est le Magazine de promotion des littératures d’Afrique, le Clijec Magazine. Tous les contenus littéraires qui parlent de ce continent sont notre centre d’intérêt. La deuxième c’est l’African Festival of Emerging Writers, le Festae, et la dernière c’est les activités spontanées telles que les rencontres Poéscène de lecture, les conférences, les ateliers… Et comme je disais au début, nous travaillons avec tous les membres sérieux de la chaîne locale du livre en Afrique. La semaine dernière par exemple, avec la SAMBE, nous avons organisé une lecture des livres de Mongo Beti dans un collège de Yaoundé. Nous sommes sur le terrain tout le temps pour parler de la littérature et de l’Histoire de ce continent avec nos compatriotes, et pour créer des actions qui rendent notre pays habitable.
Il se dit que la chaîne africaine du livre est très faible. Comment choisissez-vous vos partenaires : éditeurs, associations, etc. ?
C’est très facile : ceux qui travaillent pour la même cause se rencontrent. Quant à la chaîne du livre local, c’est ceux qui la fragilisent qui disent qu’elle est faible. Nous sommes à une époque où les choses circulent très vite. Il y en a qui profitent de cette ouverture du monde pour initier quelque chose de bien pour leurs pays, et il y en a qui continuent de faires des alliances bandites à l’internationales. Des gens qui aident à détruire la mémoire de leur propre peuple. C’est pitoyable. Ecrivains, éditeurs, critiques, librairies… Aucun secteur de la chaine du livre n’échappe à ça. Si chacun fait l’effort de fortifier la chaîne à son niveau, la chaîne sera solide. Regardez les projets Bakwa, la CENE Littéraire, Elite d’Afrique, Mosaïques… au Cameroun. Si on veut une chaîne du livre solide, il faut couper les alliances coloniales et travailler pour nous-mêmes. C’est très difficile, mais c’est en posant une pierre après l’autre qu’on bâtit les pyramides.
Cette année vous avez décidé de mettre à l’honneur l’écrivain de la Martinique Edouard Glissant ; faisant ainsi de lui le premier écrivain étranger à qui le FESTAE rendra hommage. Comment justifiez-vous ce choix vis-à-vis de la scène littéraire continentale ?
Pour l’Afrique, Edouard Glissant n’est pas étranger.
Cette année, on fête les 10 ans de la disparition d’Edouard Glissant avec les dix ans de la création du CLIJEC. Glissant a dédié une grande partie de sa vie à expliquer les relations entre les cultures. C’est un personnage central si on veut raconter l’histoire des décolonisations. Edouard Glissant est un indépendantiste qui a toujours pensé qu’octroyer les indépendances politiques ne suffisait pas. Le FESTAE est une sorte de marche indépendantiste.
Chacun la fait à son niveau avec pour destination, la création d’un pays culturellement habitable.
Pendant les cinq dernières éditions du FESTAE, vous nous avez habitués au mois de Février pour ce rendez-vous incontournable. Qu’est ce qui justifie ce changement de date ? Est-il définitif ?
C’est devenu très difficile d’organiser des activités culturelles au Cameroun et pas qu’au Cameroun d’ailleurs. C’est vrai que ça a toujours été un peu difficile vu les moyens dont nous disposons. Maintenant que nous traversons une crise sanitaire et politique, c’est devenu deux fois plus compliqué. Le FESTAE de cette année est programmé pour avril ; l’an prochain, on va regarder la lune et voir quelle date nous convient.
Quelles sont les grandes mues du FESTAE par rapport aux deux éditions précédentes et au vu de la crise sanitaire du Corona virus ?
Les événements sont prévus en présentiel et en ligne. C’est la grande différence d’avec les années précédentes. Mais comme chaque année, le public découvre des surprises !
En tant qu’auteur activiste culturel, quelle est la place de l’Afrique dans le tout-monde culturel? Quel regard portez-vous sur la littérature et les cultures africaines dans ce monde qui se complexifie de plus en plus ?
Parce que le monde change vite, comme vous dites, je pense seulement qu’il faut lutter contre l’oubli, et travailler à rendre l’espace où nous vivons, habitable pour d’autres générations. C’est urgent. L’Afrique a la place qu’elle a, ce n’est pas le plus important. L’important c’est ce que nous faisons au quotidien pour redistribuer les places. On est d’accord que les précédents partages nous ont considérés comme de la bouffe.
Pour finir, quel rapport a le festival avec des acteurs de la scène littéraire national et internationale ? Vos partenaires et sponsors vous sont-ils restés fidèles ?
On ne peut pas tenir 10 ans dans un environnement aussi difficile sans le soutien des amis qui croient au travail que nous faisons. Nous espérons cheminer encore ensemble pendant beaucoup d’années.
Propos recueillis par Njipendi Daouda