C H R O N I Q U E S
Un jour après…
Le Grand Dialogue National a donc démarré hier, sur les hauteurs de Nkolnyada, site historique du Palais des Congrès de Yaoundé, qui brille par son élévation symbolique et la large et profonde perspective qui s’offre, de là-haut, à la vue. L’objectif, comme lors de la Conférence de Foumban en 1961 et la « Tripartite » de 1991, est de tenter de trouver des réponses aux questions majeures que pose le vécu d’un Cameroun qui depuis 1960, ne cesse de chercher sa voie entre la fédération, l’État unitaire et aujourd’hui une Décentralisation que d’aucuns souhaitent (re)devenir fédération. Toutes ces formes institutionnelles prises par notre pays montrent bien que notre histoire est dynamique, qu’il n’est pas une masse immobile rivée au pied de l’inamovible. Sa direction et son contenu peuvent ne pas être ce que beaucoup souhaitent, mais rien n’arrête sa marche irrémédiable vers son accomplissement. Le Cameroun est ce que nous avons décidé d’en faire, il est notre reflet, une sorte de bouche qui, comme avait écrit Césaire, pousse un cri qui n’est pas celui d’un autre, mais le sien propre et qui semble curieusement être nourri d’un sang étranger. Bien qu’il soit radicalement nôtre, nous devons changer notre cri devenu mauvais.
Un jour donc après le lancement de ce qu’il conviendra d’appeler « le dialogue Dion Nguté », comme celui autrefois de Sadou Hayatou lors de la Tripartite, il y a une grosse attente qui flotte dans l’air, en même temps qu’une sorte d’indifférence qui divise les camerounais en deux catégories. Les ex Amba Boys ont fait une sorte de mise en bouche du débat, fustigeant la marginalisation dont la partie Anglophone du pays est victime (ce qui les a poussés à prendre les armes) et appelant ceux qui sont encore en brousse à regagner la cité. Une telle introduction de la question phare de la rencontre inédite de Yaoundé n’a pas manqué d’aiguiser les appétits des milliers de camerounais qui attendent que quelque chose se passe et que la montagne n’accouche pas d’une souris. On les voit à l’affût des documentaires télévisés, de pages spéciales des journaux de différentes chaines, de reportages sur l’événement et autres « gadgets » et bouquets médiatiques conçus pour que l’initiative de Monsieur Biya ne passe pas inaperçue.
Mais il y a aussi les autres, les adeptes de l’« aquoibonisme », les sceptiques invétérés et intraitables qui n’y voient qu’une manœuvre de plus du système pour jeter la poudre aux yeux des Camerounais, magnifier une fois de plus les pontes et brûler des milliards. Ceux-là, lorsqu’ils ne continuent pas allègrement leur besogne quotidienne pour tuer dans l’œuf tout impossible espoir qui pourrait naitre des « machins que les gens-là ont encore décidé de faire pour manger l’argent du pays », ils se laissent aller aux plaisirs de la gorge avec de bonnes bouteilles qui, pour eux, ont le pouvoir de les réchauffer au moins en cette saison de pluies et de froid à Yaoundé. « Si les Lions indomptables ne nous ont pas tués de crise cardiaque, qu’est-ce qui pourrait encore nous arriver de pire ici ?», se demande un vieil homme, le crâne veuf de chevelure, au beau milieu de ses fans dans son club de ludo. « Qu’on nous laisse tranquilles », conclue-t-il, poussant un pion sur le rectangle de bois qui met visiblement son adversaire en difficulté.
Et pourtant, l’initiative lancée par monsieur Biya le 10 septembre n’est pas à balayer d’un revers de la main. Bien qu’il ait plu hier comme tous les autres jours, bien que le quotidien semble asséner aux Camerounais ses coups habituels, et que l’on a l’impression que rien ne se passe, il se passera quelque chose sur les hauteurs du Palais des Congrès qui fera tourner de manière décisive la roue de l’histoire de ce pays. Pourvu que l’histoire de la mise à côté des propositions de Foncha en 1961 au profit exclusif de celles d’Ahidjo ne se reproduise plus.
Jean-Claude Awono est poète, enseignant de lettres et éditeur à Yaoundé.
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