ÉDITORIAL N°27

Il est des figures dont l’évocation rompt toute polémique. Leurs noms sont météorites brillantes qui, au cœur de l’azur lointain, retardent leur course folle vers l’éternité, nous observent, nous fixent du regard et nous disent : « Hey ! Toi, là-bas, avance !»

Le dos courbé, nous pouvons alors ramasser les promesses de la jarre brisée, recoller les morceaux de nos passions refroidies, lever la tête et foncer dans l’espoir du jour naissant. On peut dire que Sembène Ousmane est de ces figures-là. Son œuvre qui est vraiment au-delà de nos attentes nous parle comme les totems parlent aux hommes de leurs maîtres. Sembène Ousmane n’est d’abord un écrivain, ni un cinéaste.  Sembène est un homme qui n’a jamais voulu regarder son destin en face. Un créateur qui toute sa vie, n’a pas écouté d’autres voix que celle de la liberté. Adossé comme un fagot de bois sur le mur de la vie, Sembène n’avait pas pu porter plus lourd que la plume, lui qui, pourtant, avait mené pendant quelques années une vie de docker ! Son œuvre autobiographique Le Docker noir parue en 1957 chez Debresse est un pont qui permit au créateur abattu par la charge du port, de rétablir le contact avec lui-même.

Depuis, Sembène est devenu un pont les générations successives, comme nous le dit son héritier dans
ce numéro. S’il s’est adossé encore pendant de longues années sur l’échine de Samba Gadjigo, c’était pour mieux quitter la scène, pour donner à l’espoir naissant au cœur de la jeunesse, et à la jeunesse marchant à l’ombre des fascinations, la description de son totem. Les grands hommes ont leur totem, des griffes qui, comme le Librairie des Peuples noirs de Mongo Beti, résistent à l’exil et arrachent à la mort ses froideurs les plus téméraires !

Nous vivons dans une civilisation où le sort nous parle peu, ou le destin est une vaine promesse, où la technologie nous donne les armes pour créer et des armes pour mourir, des miroirs pour lire notre avenir au prisme de la rapidité de notre monde, mille lectures de nous-même et de notre destin. Sembène n’est pas de époque-ci, mais c’est lui qui, le premier, traça les chemins que nous suivons avec passion aujourd’hui.

Entre 1956, année de publication de Le Docker noir à juin 2007, ce jour où l’aîné range ses armes, celui que le monde appelle affectueusement Le père du cinéma africain a travaillé  sans relâche pour les générations successives.

Le présent numéro explore l’œuvre littéraire et cinématographique de Sembène Ousmane, ses combats et l’Afrique qu’il porta toute sa vie, comme sa pipe.

RAOUL DJIMELI, DP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *